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TENTATION, Page 3

Stephenie Meyer


  — Je vais essayer, promis-je.

  — Il faut aussi que je te prévienne.

  — Oui ?

  — Tout le monde est à la maison.

  — Pardon ? m'étranglai-je. Emmett et Rosalie sont revenus d'Afrique ?

  La population de Forks, elle, croyait les aînés des Cullen à l'université de Dartmouth.

  — Emmett souhaitait être présent.

  — Et... Rosalie ?

  — Ne t'inquiète pas, elle saura se tenir.

  Je ne relevai pas. À quoi bon ? L'appréhension était là et ne me quitterait pas. Contrairement à Alice l'autre « sœur » d'Edward, l'exquise et blonde Rosalie, ne m'appréciait guère. Une litote. Pour elle, j'étais une intruse dans le secret des Cullen, et je me sentais coupable de l'absence prolongée du couple. Emmett, plaisantin aux allures d'ours, me manquait. De bien des manières, il évoquait le frère aîné que je n'avais jamais eu... en beaucoup, beaucoup plus terrifiant, certes.

  — Si je n'ai pas le droit de t'offrir l'Audi, reprit Edward en changeant de sujet, n'y a-t-il d'autre cadeau que tu accepterais ?

  — Est-il nécessaire que je te répète ce que j'attends de toi ? contrai-je à voix basse.

  Il fronça aussitôt les sourcils, regrettant de ne pas s'en être tenu aux difficultés que soulevait Rosalie.

  — Pas ce soir, s'il te plaît, Bella.

  La dispute n'était pas nouvelle.

  — Tant pis. Alice sera peut-être d'accord, elle.

  Un grondement sourd et menaçant s'échappa de la gorge d'Edward.

  — Ne rêve pas ! riposta-t-il. Ceci ne sera pas ton dernier anniversaire !

  — C'est injuste !

  Il serra les mâchoires, et j'entendis presque grincer ses dents. Nous arrivions chez lui. Toutes les fenêtres du rez-de-chaussée et du premier étage étaient illuminées. Une longue guirlande de lanternes japonaises était suspendue à l'avant-toit du porche, éclairant d'une lumière douce les immenses cèdres qui entouraient la maison. De grandes vasques de roses étaient alignées de chaque côté des larges marches menant à la porte d'entrée. Je gémis.

  — C'est une fête, me rappela Edward après avoir soufflé un bon coup pour se calmer. Tâche de jouer le jeu.

  — Compte sur moi, marmonnai-je.

  Il fit le tour de la camionnette et m'offrit son bras.

  — J'ai une question.

  Il se raidit, sur le qui-vive.

  — Si je donne la pellicule à développer, apparaîtras-tu sur les photos ? demandai-je en agitant l'appareil.

  Il s'esclaffa, m'aida à descendre de voiture et m'entraîna vers le perron. Il riait encore quand il ouvrit le battant et s'effaça devant moi.

  Tous les Cullen étaient réunis dans l'immense salon blanc, et c'est un chœur de félicitations bruyantes qui m'accueillit. Embarrassée, je baissai les yeux. Alice — qui d'autre ? — avait couvert chaque surface disponible de bougies et de vases en cristal remplis de centaines de roses. Près du piano à queue d'Edward, sur une grande table nappée de blanc, il y avait un vaste gâteau au glaçage rose, d'autres fleurs, une pile d'assiettes en verre et un petit tas de cadeaux enveloppés de papier d'argent. C'était cent fois pire que ce que j'avais imaginé. Devinant ma détresse, Edward enlaça ma taille et déposa un baiser encourageant sur le sommet de mon crâne.

  Ses parents, plus jeunes et plus beaux que jamais, étaient tout près de l'entrée. Esmé me serra prudemment contre elle, et ses cheveux soyeux couleur caramel effleurèrent ma joue quand elle embrassa mon front. Carlisle me prit par les épaules.

  — Désolé, Bella, me chuchota-t-il en aparté. Nous n'avons pas réussi à réfréner les ardeurs d'Alice.

  Derrière venaient Emmett et Rosalie. Cette dernière avait le visage fermé, mais elle n'était pas hostile. Emmett, lui, arborait un grand sourire. Ne les ayant pas vus depuis des mois, j'avais oublié la beauté de Rosalie, si extravagante qu'il était presque douloureux de la regarder. Quant à son compagnon, avait-il toujours été aussi... imposant ?

  — Tu n'as pas changé, se moqua-t-il, faussement déçu. J'espérais une différence perceptible, mais tu rougis toujours autant.

  — Merci beaucoup, dis-je en m'empourprant encore plus.

  Il pouffa.

  — Je dois m'absenter une minute, ajouta-t-il avec un clin d'œil ostentatoire à sa plus jeune sœur. Attendez-moi pour commencer à vous amuser.

  Abandonnant la main de Jasper, Alice, aux anges, s'approcha de sa démarche sautillante. Son compagnon mince et blond souriait lui aussi, mais il gardait ses distances, appuyé au pilier soutenant la rampe de l'escalier qui conduisait aux étages. Durant les jours que nous avions passés ensemble, enfermés dans un hôtel de Phoenix, j'avais cru qu'il avait surmonté sa répulsion à mon égard. Cependant, sitôt libéré de l'obligation de me protéger, il avait renoué avec son ancienne attitude, qui consistait à m'éviter le plus possible. Sachant que ça n'avait rien de personnel, qu'il s'agissait juste d'une mesure de précaution, je m'efforçais de ne pas y accorder trop d'importance. Jasper avait plus de mal que les autres à respecter la diète des Cullen ; il lui était bien plus difficile de résister à l'odeur du sang humain, dans la mesure où il était le plus jeune de leur espèce.

  — C'est l'heure des cadeaux ! décréta Alice.

  Me prenant par le coude, elle me conduisit à la table.

  — Alice, marmottai-je avec des airs de martyre, je t'avais dit que je ne voulais rien...

  — Et je ne t'ai pas écoutée, me coupa-t-elle, ravie d'elle-même. Déballe celui-là, m'ordonna-t-elle ensuite en me débarrassant de l'appareil photo et en fourrant un paquet carré dans mes mains.

  L'objet était si léger qu'il paraissait vide. L'étiquette annonçait qu'il venait d'Emmett, de Rosalie et de Jasper. Gênée, je défis le papier argenté et contemplai le carton. Il s'agissait d'un machin électronique dont le nom comportait des tas de nombres. J'ouvris la boîte, espérant un indice susceptible de me renseigner sur la nature du présent... elle était effectivement vide.

  — Euh... merci.

  Jasper éclata de rire, et même Rosalie se fendit d'un rictus amusé.

  — C'est une stéréo pour ta camionnette, m'expliqua Jasper. Emmett est en train de l'installer. Comme ça, tu ne pourras pas la refuser.

  Décidément, Alice savait toujours précéder mes réactions.

  — Merci, Jasper, Rosalie, lançai-je.

  Je me souvins des plaintes d'Edward à propos de ma radio, dans l'après-midi. Apparemment, c'était un coup monté.

  — Merci, Emmett ! ajoutai-je, plus fort.

  Son rire explosif et communicatif me parvint de l'extérieur.

  — À notre tour, à Edward et à moi, me pressa Alice d'une voix aiguë en me tendant un petit rectangle plat.

  Je me tournai vers Edward pour le fusiller du regard.

  — Tu avais promis !

  Avant qu'il ait eu le temps de répondre, Emmett bondit dans l'entrée.

  — Tip top au bon moment ! brailla-t-il.

  Il alla se poster derrière Jasper qui, une fois n'est pas coutume, s'était rapproché pour mieux voir.

  — Je n'ai pas dépensé un sou, m'assura Edward.

  Il écarta une mèche de mes cheveux, et je frissonnai à son contact.

  — Très bien, cédai-je.

  Emmett rigola, amusé. Je m'emparai du cadeau et, adressant une mimique agacée à Edward, glissai mon doigt sous l'emballage pour décoller celui-ci.

  — Zut ! ronchonnai-je, lorsque l'arête du papier entama ma peau.

  Je retirai mon doigt pour inspecter les dégâts. Une unique goutte de sang perlait d'une minuscule coupure. Soudain, tout se passa très vite.

  — Non ! rugit Edward.

  Il se jeta sur moi, me précipitant en travers de la table, qui s'écroula, envoyant au diable gâteau, présents, fleurs et assiettes. Je tombai dans un éparpillement de cristal brisé. Jasper heurta Edward avec un bruit sourd qui évoquait un éboulement de rochers. Un grondement sinistre monta de sa poitrine, et il tenta de repousser son aîn�
�. Ses dents claquèrent à quelques centimètres du visage d'Edward. Aussitôt, Emmett l'attrapa par-derrière et l'immobilisa dans l'étau de ses bras impressionnants. Jasper se débattit, un éclat sauvage allumant ses iris fixés sur moi.

  Après le choc initial vint la douleur. Je m'étais affalée près du piano et, d'instinct, avais tendu les mains pour amortir ma chute. De ce fait, elles avaient plongé droit dans les débris de verre. Tout à coup, je sentis une souffrance irradiant mon avant-bras, du poignet au coude.

  Désorientée, ahurie, je me détournai du sang rouge vif qui dégoulinait. Je découvris alors le regard fiévreux de six vampires brusquement assoiffés.

  1 Respectivement, équipes de base-ball de Seattle et de Chicago. (Toutes les notes sont du traducteur.)

  2

  QUELQUES POINTS DE SUTURE

  Carlisle fut le seul à garder son calme ; sa voix posée et autoritaire trahissait des siècles d'expérience aux urgences.

  — Emmett, Rose, faites sortir Jasper.

  Pour une fois sérieux, Emmett acquiesça.

  — Viens, dit-il à son jeune frère.

  Ce dernier, qui essayait toujours de se libérer, tordit le torse et attaqua, toutes dents dehors. Son regard n'exprimait plus que folie. Pâle comme un linge, Edward s'accroupit devant moi pour me protéger. De ses lèvres serrées s'échappa un grognement d'avertissement. Il ne respirait plus. Rosalie, dont le visage magnifique arborait une expression d'étrange satisfaction, se posta devant Jasper et, prenant soin de s'écarter de sa mâchoire, aida Emmett à l'entraîner par la baie vitrée qu'Esmé avait tirée, une main sur la bouche et le nez.

  — Je suis vraiment navrée, Bella, me lança-t-elle, gênée, en suivant vivement les autres à l'extérieur.

  — Laisse-moi approcher, Edward, murmura Carlisle.

  Une seconde s'écoula, puis son fils hocha lentement le menton et se détendit. Son père s'agenouilla pour examiner mon bras. Devinant que je devais avoir l'air ahuri, je tentai de me ressaisir.

  — Tiens, dit Alice en tendant une serviette à Carlisle.

  Il la refusa en secouant la tête.

  — Il y a trop d'éclats de verre dans la blessure, constata-t-il.

  Déchirant une longue bande étroite dans la nappe blanche, il improvisa un garrot au-dessus de mon coude. L'odeur du sang me tournait le cœur, et j'avais le vertige.

  — Veux-tu que je t'emmène à l'hôpital, Bella ? me demanda Carlisle d'une voix douce. Ou préfères-tu que je m'occupe de toi ici ?

  — Ici, s'il vous plaît, chuchotai-je.

  Un transport aux urgences, et Charlie serait au courant de l'incident.

  — Je vais chercher ta sacoche, annonça Alice.

  — Installons-nous dans la cuisine, décréta Carlisle.

  Edward me souleva sans effort, tandis que son père maintenait la pression sur mon bras.

  — Comment te sens-tu, Bella ? s'enquit-il.

  — Ça va, répondis-je sur un ton raisonnablement assuré qui me fit plaisir.

  Edward avait un visage de pierre.

  Alice était déjà sur place, la grosse trousse noire de Carlisle posée sur la table. Une lampe de bureau, petite mais puissante, avait été branchée au mur. Edward m'assit doucement sur une chaise, cependant que Carlisle en rapprochait une pour lui-même. Il se mit au travail sans tarder. Edward se tenait près de moi, sur le qui-vive.

  — Je t'en prie, va-t'en, soupirai-je.

  — Je suis capable de me contenir, protesta-t-il.

  Pourtant, il serrait les mâchoires, et ses prunelles brûlaient sous l'intensité de la soif qui le dévorait. Je représentais une tentation bien plus forte pour lui que pour les autres Cullen... Jasper excepté.

  — Inutile de jouer les héros, répliquai-je. Carlisle n'a pas besoin de ton aide. Va respirer l'air frais.

  Les doigts du médecin sur ma plaie m'arrachèrent une grimace de douleur.

  — Mieux vaudrait que tu rejoignes Jasper avant qu'il dépasse les bornes, intervint Carlisle. Je suis sûr qu'il s'en veut terriblement. Toi seul pourras le calmer.

  — Oui, renchéris-je, va retrouver ton frère.

  — Comme ça, tu serviras à quelque chose, ajouta Alice.

  Guère ravi par ce complot, Edward plissa le front. Pourtant, il finit par obtempérer et fila par la porte de la cuisine. J'étais à peu près certaine qu'il avait retenu sa respiration depuis que je m'étais coupée.

  Une sensation d'engourdissement se répandit dans mon bras, et les élancements s'apaisèrent. Pour éviter de penser à la blessure et aux soins qu'on lui prodiguait, je me concentrai sur Carlisle. Il avait penché la tête, et sa chevelure dorée resplendissait sous la lumière. Malgré les spasmes qui secouaient mon estomac — rien que de très habituel -, j'étais déterminée à ne pas me laisser submerger par ma sensiblerie. Je n'avais plus mal, à présent, n'éprouvai plus que de faibles tiraillements que je tâchai d'ignorer. Il était hors de question que je m'évanouisse.

  Si elle ne s'était pas tenue dans mon champ de vision, je n'aurais pas remarqué qu'Alice finissait par craquer et quittait la pièce à son tour. Un pauvre sourire contrit aux lèvres, elle s'éclipsa.

  — Et voilà, soupirai-je, tout le monde est parti. Je suis drôlement douée pour faire le vide autour de moi.

  — Ce n'est pas ta faute, me réconforta Carlisle en riant doucement. Ça aurait pu arriver à n'importe qui.

  — En effet, sauf que j'ai quand même une fâcheuse tendance à provoquer de telles situations.

  Il rit derechef. Sa sérénité était d'autant plus surprenante au regard de la réaction des autres. Il n'y avait aucune trace d'anxiété sur son visage. Il s'affairait, rapide et sûr de lui. Seuls les tintements des bouts de cristal qui tombaient l'un après l'autre sur la table rompaient le souffle mesuré de nos respirations.

  — Comment y arrivez-vous ? demandai-je. Même Alice et Esmé...

  Je m'interrompis. Bien que toute la famille, prenant exemple sur lui, eût renoncé au traditionnel régime alimentaire des vampires, il était le seul à résister sans mal à l'odeur tentatrice de mon sang. L'exploit était sans doute beaucoup plus difficile à accomplir que ce que sa décontraction laissait deviner.

  — Les années de pratique, répondit-il. Je ne sens presque plus rien, maintenant.

  — Serait-ce plus dur si vous cessiez de fréquenter l'hôpital pendant longtemps ?

  Il haussa les épaules, indécis.

  — Peut-être. Je n'ai jamais eu besoin de vacances prolongées. J'aime trop travailler.

  Gling ! gling ! gling ! Le nombre de morceaux de verre qui s'étaient logés dans ma chair m'étonnait, et je fus tentée de jeter un coup d'œil sur la pile qui s'entassait, histoire d'en vérifier l'importance, mais je savais que cela ne m'aiderait en rien dans ma stratégie antivomitive.

  — Qu'est-ce qui vous plaît tant, dans ce métier ? repris-je.

  J'étais en effet curieuse de l'apprendre, car la signification de ses années de lutte et de déni m'échappait. Par ailleurs, la conversation me permettrait d'oublier mes nausées.

  — Hum, répondit-il, le regard calme et songeur. Ce que j'apprécie par-dessus tout, c'est quand mes capacités... supérieures, disons, me permettent de sauver une vie qui, sinon, aurait été perdue. J'aime à savoir que, grâce à moi, certaines gens guérissent. Parfois, même mon odorat surdéveloppé est un outil de diagnostic bien pratique.

  Il afficha un demi-sourire. Je réfléchis à cela pendant qu'il fouillait la blessure pour s'assurer qu'il en avait ôté tous les débris. Lorsqu'il attrapa de nouveaux instruments dans son sac, je m'interdis d'imaginer une aiguille et du fil. Des tiraillements d'un autre genre chatouillèrent les bords de la plaie.

  — Vous vous donnez bien du mal pour expier un état dont vous n'êtes pas responsable, continuai-je. Après tout, vous n'avez pas demandé à devenir celui que vous êtes. Vous n'avez pas choisi cette existence et, pourtant, j'ai l'impression que vous vous sentez obligé de trimer comme un esclave afin de prouver que vous êtes bon.

  — Je ne crois pas essaye
r de réparer quoi que ce soit, me contredit-il sur un ton léger. Comme tout un chacun, j'ai simplement dû opérer des choix de vie en fonction de ce que la nature m'a donné.

  — Cette explication me paraît un peu facile.

  — Ça y est, éluda-t-il en se penchant sur mon bras puis en coupant un fil, c'est fini.

  Il balaya largement le site des opérations à l'aide d'un coton-tige démesuré qu'il avait trempé dans un liquide aux couleurs de sirop qui déteignit sur ma peau. L'arôme en était bizarre, et la tête me tourna. Carlisle colla une grande bande de gaze sur la blessure et la fixa à l'aide de sparadrap.

  — Mais au début, insistai-je, comment avez-vous eu l'idée de vous détourner de la voie évidente qui s'ouvrait devant vous ?

  Un sourire énigmatique étira ses lèvres.

  — Edward ne t'a donc pas raconté l'histoire ?

  — Si. J'essaie juste de me mettre à votre place...

  Soudain, il redevint sérieux, et je me demandai si ses réflexions l'avaient conduit à la même interrogation que moi — comment réagirais-je quand (je refusais de penser si) ce serait mon tour ? Il s'affaira à nettoyer la table avec soin, la frottant plusieurs fois de suite avec du coton imprégné d'alcool dont l'odeur me chatouilla les narines.

  — Tu sais que mon père était pasteur, expliqua-t-il. Il avait une conception du monde plutôt abrupte, et j'avais commencé à la remettre en question avant même de me transformer.

  Il déposa la gaze et les cotons souillés ainsi que les éclats de verre dans une coupe en cristal. Je ne saisis la manœuvre que lorsqu'il gratta une allumette et la jeta sur les fibres imbibées d'alcool. Le tout s'embrasa, et je sursautai.

  — Désolé, s'excusa-t-il. C'est un peu obligé... Bref, j'étais en désaccord avec cette foi si intransigeante. Pourtant, depuis presque quatre cents ans que je suis né, rien, pas même mon reflet dans un miroir, ne m'a incité à douter de l'existence de Dieu, quels que soient le nom ou la forme qu'on lui attribue.

  Je fis mine d'inspecter mon pansement afin de dissimuler ma surprise devant le tour qu'avait pris la discussion. Tout bien considéré, la religion était le dernier sujet auquel je m'étais attendue. Ma propre vie était passablement dépourvue de croyances. Charlie se considérait comme luthérien parce qu'il suivait l'exemple de ses parents, mais, le dimanche, c'était près de la rivière et une canne à pêche à la main qu'il pratiquait. Quant à Renée, elle testait de temps à autre telle ou telle obédience ; à l'instar de ses brèves passions pour le tennis, la poterie, le yoga et le français, elle en changeait avant même que je fusse avertie de sa dernière lubie.