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Clinique Stratégique (2). Symptomatologie., Page 2

Michel Filippi


  La science de notre époque a pour finalité d’observer du vivant à l’œuvre. Notre dispositif  n’isole pas notre sujet de son environnement et tente de ne pas le tuer. Tous les signaux qui apparaissent dans notre champ de perception nous concernent. Et nous avons intérêt pour notre connaissance qu’il s’en produise de toutes les variétés.

  C’est pourquoi je me suis intéressé à l’organisme que préside un ancien ministre, le Conseil d’Analyse de la Société. L’une des finalités affichées de cette assemblée est de repérer et d’analyser les nouveaux enjeux qui mobilisent ou sont appelés à mobiliser la société civile. Je m’étonne que son dernier rapport s’intitule La Révolution du livre numérique. Franchement « ça » ou « Lindbergh a traversé l’Atlantique » ne peuvent être de nouveaux enjeux pour notre société. Cela a déjà eu lieu et nous traversons en avion l’Atlantique de même que nous lisons, achetons, téléchargeons des livres numériques. Les auteurs écrivent pour le livre numérique et n’imaginent pas une seconde qu’il existe là un autre enjeu que d’exposer ses idées, d’être connu et gagner son blé.  Mais il semble que pour le CAS ce soit le numérique lui-même qui est à venir car je n’ai rien trouvé sur le site qui en permette le partage. Pas de bouton tweet, pas de FB. Juste correspondre avec l’éditeur. L L L

  Du coup Madame Marine Le Pen qui ce matin parlait à la radio est un peu plus au courant des nouveaux enjeux qui peuvent mobiliser la société civile admettant dans un revers de main que le Pacs est un fait de société et non le problème des homosexuels, que la République est laïque et s’interdit de se mêler de ce qui est de l’ordre du privé et surtout, surtout, que le Politique domine, prédomine, l’Economique.

  Qui actuellement en France ose dire que le Politique c’est Vouloir et qu’il n’y a que cela qui compte et qu’autrement ce n’est pas la peine de vivre en société ?

  Vivre ensemble en Toute Volonté sont des symptômes. Les voilà relevés.

  VIII.

  « Vivre ensemble » et « en Toute volonté » sont des symptômes. Nous l’avons affirmé. Mais me direz-vous quel fut le détecteur qui les a enregistrés. L’ « Inconsistance logique ».

  Nous avons soutenu que là nous pouvions observer le stratège à l’œuvre. Nous avions repéré Madame Marine Le Pen recomposant son parti, perdant donc de son être. Elle nous avait semblé cependant trop décidée à se rallier la droite autoritaire en place de ses énervés. De toujours, par son père les petites gens industrieuses étaient visées. Mais là avec l’affirmation de la suprématie du Politique sur l’Economique elle lance ses bras au cou de Chevènement, aux Extrémistes les plus idéologiques pour qui le Politique est reine pour vivre en société. Sans que nous sachions quelles seront ses limites.

  En affirmant la primauté du Politique sur l’Economique, elle anime l’Homme révolté. Mais, en partie engagée, elle nous attire dans une finalité déjà formée. Un National-socialisme qui se présente comme futur.

  Elle tente ce qu’en son temps De Gaulle a fait, not’Président aussi, et DSK d’une certaine manière, tenir le peuple par toutes ses extrémités, le saisir comme un continu.

  Mais observons plutôt si Madame Le Pen avance avec son dos, si ce passé qui se présente comme un futur ne nous masque pas une autre réalité à venir. Je trouve alors deux petits livres qui dormaient sur une étagère, Remarques sur l’action  de Bernard Grasset (1928) et Psychologie révolutionnaire de Galéot (1922).

  De celui-ci : « Pour éviter de tels renversements il faudrait que les humains fussent, dans l’ensemble, toujours à même, au moins par leurs élites, de commander leurs pensées ; que la volonté réfléchie, aidée des disciplines, dirigeât les principaux phénomènes de la psychologie individuelle et sociale ».

  De celui-là : « Les plus authentiques créations de l’intelligence paraissent souvent d’une telle simplicité, voire d’une telle évidence qu’on serait porté à croire qu’elles appartenaient depuis longtemps au patrimoine de l’esprit. C’est qu’il nous est très difficile de distinguer l’évidence que la pénétration d’un homme vient de nous faire apparaître et celle qui s’est toujours présentée comme telle à notre esprit. Or, c’est bien dans ce pouvoir de faire surgir de nouvelles évidences que réside essentiellement le don de créer ».

  Madame Le Pen s’est déplacée dans le temps et part à la recherche de la figure de l’Homme providentiel, l’Homme Révolutionnaire Contre-Révolutionnaire. Il ne lui reste plus qu’à affirmer qu’elle n’agit pas pour elle-même, qu’elle fait don pour être aimée.

  Alors, Contre-révolutionnaire Révolutionnaire, elle retrouvera Madame Royale et notre Moine malingre qui eux ont déjà fait don sans savoir tenir le peuple par toutes ses extrémités.

  IX.

  Hier soir discussion avec mon amie Anne-Françoise Schmid, philosophe. L’épaisseur du monde, l’hypothèse. Non pas cette hypothèse coincée entre Vérité et Réfutation mais et là interrompant l’échange j’affirme l’hypothèse comme jeu, un pari toujours ouvert, dans lequel rien n’est engagé, rien ne peut conclure. Cette hypothèse serait-elle le stratège ?

  Autre partie de la discussion. Les modèles que nous utilisons même sans nous en rendre compte permettent ou ne permettent pas de saisir les évènements du monde. Ou les saisissent d’une manière tellement différente que les préoccupations déployées d’un côté n’existent plus de l’autre.

  Nous avons expérimenté notre Clinique stratégique plutôt du côté du personnel politique en France et nous n’avons pas dirigé notre dispositif d’observation vers les évènements dits extérieurs. La raison est que je ne voyais pas apparaître une préoccupation qui m’intéresse au plus haut point celle des frontières.

  Ce matin j’ai décidé quand même de déplacer ce dispositif et de prendre du temps en le braquant sur ce prétendu extérieur. Eh bien je peux vous dire que je n’aime pas du tout les symptômes qui surgissent, les figures symptomatologiques qui ne se dessinent pas.

  Partout je ne vois que les Significations adorées toutes masquées par ce terme extraordinaire de Printemps. Un monde brutal de Vérité se forme et chacun y va pour nous engager dans la finalité d’un passé retissé.

  L’Islande renoue avec son parlement viking, direct, populaire, oubliant d’un coup la violence de ce type de réunion. L’Allemagne se souvient que le premier roi de la Grèce moderne était de son sang. La Turquie se rêve comme Commandeur des Croyants et je ne lui donne pas longtemps pour qu’elle se rappelle qu’elle fut César de tous les Romains. L’Afrique change de colonisateurs et de ses richesses elle n’en profite jamais.

  Et le stratège n’apparaît pas. Ou pour le moins il n’est pas là. Nous avons des symptômes, de multiples symptômes mais pas de figures symptomatologiques.

  Alors voici mon hypothèse.

  Cette portion du monde découpée verticalement qui va de l’Islande à l’Afrique, de l’Espagne à la Syrie, est devenue ce lieu géographique bien connu là où la pression des mondes entrain de se faire fragmente l’existant en infinies communautés, des mêmes perpétuellement opposés.

  Nous connaissions les Balkans. Nous connaissions ces régions du côté de la Géorgie, Abkhazie, etc., impitoyablement fractionnées.

  Il y a maintenant nous.

  L’Isleurofrika

  X.

  Depuis que j’ai déplacé notre dispositif d’observation, j’ai comparé les nouveaux symptômes à ceux que nous avions déjà et aux figures symptomatologiques que nous avons construites.

  Si donc nous sommes dans une réalité qui se fragmente sous la pression de mondes entrain de se constituer alors que devons espérer comme futur ?

  Madame Marine Le Pen suit ce que son père avait auparavant compris. La dissolution d’un empire, des empires européens, ne peut conduire qu’à la rétraction des populations dans des territoires de plus en plus étroits. Il s’est donc préparé et sa fille apparaît maintenant sous la forme d’une évidence.

  Je ne sais si nos politiques de gauche
ont perçu ce mouvement apparemment obnubilés par le débat des idéologies finissantes, l’apparition de leur inconsistance, la souillure pour leurs militants d’avoir gouverné.

  Il existe bien un effort pour constituer une Nation suffisamment élargie qu’elle puisse supporter le choc de celles qui se font. L’écologie fait cet effort qui transcende les populations. Cependant son discours sur la bonne nature ne peut que détruire l’émergence de valeurs et nécessite de trouver des coupables. Les valeurs, les différences, structurent les sociétés. Mais la persécution des coupables a aussi pour un temps cet effet.

  Madame Royal ne semble avoir pris aucune mesure de ce qui se passe obnubilée par l’envie d’être la première femme en France Président de la République.

  Notre figure d’émacié elle s’offre à tout un chacun à la fois guérisseur des écrouelles, double du Roi lépreux, Moine qui s’étant réformé peut réformer. Cette figure que peut-elle donner ?

  Attirer la compassion, créer des pèlerinages, transformer le laïc en sacré.

  Et là je trouve l’intéressant.

  DSK avait réussi à lier l’Economique au Sordide des petites gens, annonce d’un règne terrestre, prenant en son sein d’un seul tenant l’Argent, le Sperme, la Richesse, la Pauvreté et l’Immigré. Préoccupé par sa défense, trop enclin à se faire dédouaner, il abandonne cette figure à peine créée et qu’il sera impossible de ressusciter.

  François Hollande sur une autre voie, passe du terrestre au céleste, du séculier au sacré. Cette opération fut déjà réussie lorsque l’administration de Dioclétien est devenue celle sacrée de l’Eglise échappant ainsi au quotidien, aux conflits de territoires, à la destruction des valeurs et des connaissances par les Barbares.

  Faire de la France et de l’Europe un territoire sacré et de son dirigeant une figure du divin.

  XI.

  Des Oh !, des Ah ! ont accueilli Symptomatologie 10 un peu boostés par le n°9. Une Isleurofrika modifierait notre compréhension du personnel politique français ?

  Ce qui modifie notre compréhension est le déplacement de notre dispositif d’observation. Je n’y perçois pas de figure symptomatologique mais je décris un continent peut-être aussi mythique et réel que l’est le Gondwana.  Ce continent est un réel, un réel géopolitique. Ce réel génère en nous, localement, des symptômes. Les figures symptomatologiques sont notre effort pour construire une compréhension dans les limites du dispositif d’observation.

  Tout est lié. Les symptômes ne sont pas indépendants du dispositif et notre symptomatologie décrit les figures possibles de ce dispositif.

  Nous avons fait un pari. Le dispositif permet d’identifier le stratège. Nous l’avons défini par avance, parce que nous avions le souvenir de ses effets passés.

  Le stratège est un médicament, un pharmakon. Il doit nous conduire hors de notre état actuel. Or cela revient à nous éduquer. Mais ainsi il nous conduit à ne plus coexister à notre monde donc à manquer d’être, de cet être-ci que nous ne connaissons pas encore puisqu’il est notre présent à cet être-là que nous ne connaîtrons pas encore.

  Par cette conduite hors de notre être nous verrons apparaître comme une peau suspendue ce que nous sommes et qui sera ce que nous étions. Et là sera la Vérité, un monde de Signification. Nous serons alors comme sur un chemin regardant nostalgique ce qui fuit comme futur, entrant dans le devenir en aveugle, par notre dos qui cherche à coïncider.

  Et nous verrons alors un paysage battu par des Signaux, le Réel en tant que tel ou l’une de ses manifestations.

  Cette manifestation nous l’avons identifiée. L’Isleurofrika, un réel géopolitique

  Pour la connaissance cette identification est illumination. Nous pensions dans un monde ancien, celui balkanique de siècles passés, des petits pays fragmentés coincés entre les forges des européennes et euro-asiatiques, sans nous rendre compte que l’instantané des événements, la propagation en un instant de la violence de toutes les forges nationalistes, attrapaient en un seul geste plus de territoires que jamais.

  Il y avait eu les guerres mondiales, résidus de la forge des états d’Occident, des états d’Extrême-Orient, de leurs efforts pour former un seul continent. Ces forges avaient affecté l’ensemble du Monde, balkanisant tout ce qui était à leurs jointures. A son tour la forge des Etats d’Orient, celle des deux Amériques aussi, nous broient, nous balkanisent, créant à leur jointure l’Isleurofrika.

  Mais ce monde est déjà ancien puisque nous le percevons comme un paysage illuminé, donc plein de Signification. Ce n’est pas là que nous allons car nous y étions déjà et n’y sommes plus encore.

  Nous sommes déjà en route vers le futur. Nous avons acquis quelque chose du stratège.

  Mais ce paysage ancien nous affecte actuellement, son réel géopolitique – Signal – vient à notre rencontre, menace de nous investir refermant en un clap la distinction entre Signe, Signal, Signification, distinction qui nous permet de nous déplacer, de ne pas être en proie à l’actuel comme seule possibilité d’être.

  Nous risquons de prendre ce Signal  pour la Signification. N’est-ce pas ce que font les USA tant qu’en Afghanistan ils chassent les Talibans. Nous risquons de devenir cette Isleurofrika confondant notre Signe avec le Signal. Nous risquons rassemblant en un être Signe-Signal-Signification de devenir la matière nécessaire pour que les forges des Nations d’Orient et des deux Amériques réussissent leur opération.

  Nous ne sommes plus autonomes, cela nos politiques le sentent. Mais ils se trompent tous croyant connaître notre maître et voulant tour à tour l’abattre.

  Aucun n’est stratège.

  XII.

  J’ai changé ma façon de percevoir notre position dans le monde et ça me tourne la tête. Je suis désorienté, j’éprouve un sentiment de malaise. Ce flash de la Vérité totalement présente. Trois jours à m’en remettre.

  N’as-tu pas quelques modèles qui nous apportent l’espoir ?

  L’espoir d’un bel avenir ? Ou l’espoir d’être à la hauteur de l’Avenir ?

  L’effet du déplacement de notre dispositif d’observation n’est pas en soi une nouveauté dans le monde des connaissances. Du point de vue de l’Histoire, de la Géopolitique les évènements locaux ont toujours été pris dans d’autres de plus large envergure ou de nature épidémique qui changeaient radicalement leur compréhension. Mais les effets de ces événements plus grands ne se faisaient sentir que plus tard sous la forme d’une merveille, la main courroucée d’un Dieu ou celle invisible du destin.

  Tous nos penseurs, intellectuels de toute sorte, tous notre personnel politique se sont formés à cette distance qui leur laisse, croient-ils encore, le temps de s’adapter ou de prendre leurs petits avantages. Ils préfèrent encore se repérer, agir, prendre leur décision à la vitesse du pas d’un cheval.

  Or les décisions se prennent très vite dans les Empires émergeants. Elles se prennent à la vitesse de leurs managers et industriels. Et c’est pareil pour les Amériques.

  Les actes politiques sont lancés sur le marché le plus rapidement possible avec force, en concentrant des moyens surdimensionnés. Les marchés politiques sont cernés, assiégés, occupés sans coup férir. Nos politiques ne comprennent pas.

  Mais c’est ce que nous faisons déjà disent-ils. Nos arsenaux sont bien garnis. Tous les outils économiques qu’utilisent les Empires émergeants nous les avons déjà et des experts de premier plan.

  Mais voilà nos politiques les utilisent dans une mentalité de brigand. Avec ces outils ils cherchent plus à empêcher, contrôler, rançonner, en tirer des bénéfices pour eux seuls qu’à faire prospérer la communauté.

  Eh bien ça c’est l’événement du déclin. Quand tout se désagrège, ce sont les brigands qui commandent. Plutôt pour soi que pour les autres !

  Que faut-il à nos politiques pour qu’ils comprennent l’empan du monde à observer, sur lequel agir, qui fait effet sur notre localité, que l’Empire du Milieu nous envoie un ultimatum ?


  Ou qu’il s’installe à Athènes comme libérateur ? 

  XIII.

  Je suis étourdi. Ce qui est apparu en déplaçant notre dispositif d’observation ne cesse de me hanter donnant un goût de cendre aux propos, sursauts de nos politiques relayés par les infos de toutes les minutes, staccato poussif comme des claquements de dents.

  Les Verts, Ecolos, ne veulent pas de leur seul politique d’expérience européenne, Cohn-Bendit. Je ne peux m’empêcher de penser que tout ce beau monde n’est qu’une forme de nationalisme, un ramassis de gens qui ont écrasé la Valeur dans la Nature, la seule référence possible. Et la Nature manifeste le summum de la Morale. Elle est Pure.

  Elle exige des sacrifices. Ces sacrifices les Verts n’en parlent qu’en désignant ceux des économistes et financiers. No pasaran !  Il ne s’agit guère d’eux. Ce sera le sacrifice des responsables. Les Verts n’exigent la tête de personne me dira-t-on.

  Ils seront bien obligés. Ils feront comme tous prétendus révolutionnaires afin de pouvoir s’assembler. Ne pouvant s’unir par le Politique, le crime c’est tout ce qui leur reste.

  Le crime unit lorsque la Morale et la Valeur sont confondues. Le Prix et la Valeur sont confondus le crime rôde nécessairement aussi. Lorsque ces deux confusions vont de conserve chacun devient criminel. Il n’existe aucune autre possibilité pour le futur. Le Monde devient immobile, menaçant à chaque instant de disparaître. Le crime est le seul moyen de le vivifier.